Finisher de cette course mythique en 2021 et contraint à l’abandon l’an dernier pour cause de blessure, c’est l’esprit revanchard et en pleine possession de mes moyens que je me retrouve pour la troisième fois sur la Place du Triangle de l’Amitié au départ de l’UTMB. Solène, ma coéquipière de la TeamRunners77, est au départ avec moi pour son premier UTMB.

Mon équipe de suiveurs sur place est constituée d’Aurélia pour l’assistance dans les zones autorisées, Gérard, mon ostéopathe, ainsi que Liily et Jérôme. La Force aussi est avec moi, celle que m’envoient mes proches par la pensée.
Cette année j’ai pris un dossard solidaire, ce qui signifie que je cours aussi pour le compte d’une Association.
J’ai choisi de soutenir l’Association « Sébio Solidarité Secours en Montagne ». (https://www.sebio-ssm.fr/).
Créée en 2013 après de nombreux accidents survenus au sein des unités de
montagne de la Gendarmerie, elle a pour but de maintenir le lien entre les
familles et les membres des unités de montagne de la Gendarmerie et tous les
acteurs du secours en montagne qui travaillent avec eux. Plus qu’une fierté,
c’est pour moi un honneur de courir pour Sébio.
Je sais parfaitement à quel point cette course est impitoyable et impose l’humilité mais je me fixe néanmoins l’objectif de passer sous la barre des 40 heures (j’ai terminé en 42h40 en 2021).
Une fois passé l’inoubliable cérémonial du départ sur la musique Conquest of Paradise de Vangelis, nous fendons la foule toujours plus nombreuse et enthousiaste dans les rues de Chamonix.

À la sortie de la ville Solène et moi nous prenons la main, comme pour se transmettre de l’énergie mutuellement, puis chacun prend son envol. Il est 18h00 ce vendredi 30 août. Je me mets immédiatement dans ma bulle et les premiers kilomètres, très roulants jusqu’au premier ravitaillement des Houches, passent sans que je m’en aperçoive. Seul fait notable sur cette portion, la présence de Courtney Dauwalter, vainqueur de l’édition 2023, qui nous encourage avec beaucoup d’énergie au milieu du public !
La première montée sérieuse se présente alors devant moi, suivie d’une longue descente jusqu’à Saint-Gervais (KM 21 / VEN 22:47:54 / 02:43:02 de course / 867°). Cette partie de course permet déjà de savoir quelles sont les sensations du moment et les miennes sont excellentes !
Ravitaillement express à Saint-Gervais et je file vers les Contamines (KM 31 / VEN 22:14:18 / 04:09:26 de course / 822°), où je retrouve Aurélia, mon assistante exceptionnelle. Aucun détail n’a été négligé. Nous avons préparé et étiqueté des sacs de vêtements de rechange par ravitaillement ainsi que des listes de choses à faire (charger la montre et le téléphone, mettre dans mon sac de course tel ou tel produit alimentaire, etc…). Lilly m’attend à la sortie du ravitaillement avec sa cloche qu’elle fait carillonner joyeusement. Nous nous donnons l’accolade et je poursuis ma route riche de ce moment
de partage.Après les Contamines nous nous enfonçons au cœur de la nuit et les premières grosses difficultés s’enchaînent : le Col du Bonhomme et le Col de la Croix du Bonhomme. Pendant la montée, au ravitaillement de la Balme, je m’arrête brièvement pour boire un thé. La bénévole qui me le sert me regarde et me dit : « vous êtes de Bussy, non ? » Elle m’explique qu’elle est de la Section Trail du club de Bussy et qu’elle m’a souvent vu courir là-bas.
La descente vers le ravitaillement des Chapieux (KM 51 / SAM 02:30:07 / 08:25:15 de course / 1 068°) s’effectue sans histoire. Je m’attable pour boire un bouillon de riz quand j’entends : « C’est toi, Joël ? ». Un coureur m’a reconnu en visionnant les vidéo Youtube de mon ami Adrien sur lesquelles j’apparais souvent. Dingue !
Après les Chapieux les difficultés augmentent encore d’un cran avec la terrible montée du Col de la Seigne (traversée de la frontière italienne), puis celle du Col des Pyramides Calcaires, un enfer minéral !
Je dois vous parler du passage du Col de la Seigne. Le col est très exposé et on le voit de loin. Quand il apparaît à ma vue je suis époustouflé par le spectacle : les organisateurs ont installé une montgolfière au sommet, identique à celle de la vasque olympique.

Superbement éclairée elle ressemble à un phare qui nous guide dans la nuit. Plus je me rapproche, plus le spectacle est saisissant, jusqu’à ce que je comprenne ma méprise : il ne s’agit pas d’une montgolfière mais de la Lune ! La Lune comme je ne l’ai jamais vue, si proche, si pleine, si belle. Un moment sublime dont je me souviendrai toujours.

Passé ce moment de grâce le jour se lève enfin alors que j’atteins le ravitaillement du Lac Combal (KM 69 / SAM 06:50:45 / 12:45:53 de course / 1 124°) dans un décor d’une beauté inouïe, magnifié
par une lumière splendide.
La fin de la nuit a été très difficile pour moi. J’ai pris soin de bien
m’alimenter depuis le départ mais mon estomac me joue néanmoins des tours. Je vomi même un peu avant d’arriver au Lac Combal. Je décide donc de m’y arrêter plus longtemps que prévu. J’y mange doucement un bouillon accompagné de riz qui me revigore, et je repars vers Courmayeur, ravit aliment stratégique où mes suiveurs m’attendent. Parc des Sports de Courmayeur (KM 83 / SAM 09:33:17 / 15:28:25 de course / 1 099°). J’y reste une heure pendant laquelle je dors 15 mn, mange des pâtes et de la pizza – nous sommes en Italie ! – et me change entièrement. À la sortie Lilly fait encore carillonner sa cloche pour mon plus grand plaisir !
C’est donc ragaillardi que j’attaque la montée vers le Refuge Bertone. Un jeune coureur m’emboite le pas et, en cadence, nous gravissons cette difficulté en 1h18 en gagnant 51 places ! Il me remercie chaleureusement et continue sa route tandis que je prends le temps de remplir mes flasques.
Oubliées les mauvaises sensations de la fin de nuit, me voilà à nouveau dans un état d’esprit conquérant ! Je gagne encore 44 places pendant les 8 km suivants mais je ressens de plus en plus les effets du manque de sommeil. Je tente de lutter mais ma vue se trouble et je commence à tituber.

Alors je décide de m’arrêter pour faire une sieste de 5mn. Ce court repos me permet de repartir convenablement et d’atteindre le ravitaillement d’Arnouvaz (KM 101 / SAM 14:25:59 / 20:21:07 de course / 1 020°). Je prends encore une fois le temps de bien m’alimenter car le Grand Col Ferret qui m’attend dès la sortie du ravitaillement est un véritable juge de paix : 4,6 km pour 750 mètres de D+ ! Il me faut près de 2 heures pour atteindre le sommet, à 2,4 km/h de moyenne (soit 25:20/km)
sous une chaleur accablante. Je n’ai plus de forces, je me traîne, je subis, je fais encore une sieste de 5mn et malgré tout je gagne 23 places dans la montée ! Je m’approprie ce dicton : « Quand je me regarde je me désole, mais quand je me compare je me console ». Cette montée était jonchée de « cadavres » à la dérive.
S’ensuit une interminable descente de 21 km. Après les 10 premiers km de descente j’arrive au ravitaillement de La Fouly (KM 116 / SAM 17:54:21 / 23:49:29 de course / 941°) en état de mort cérébrale. J’ai passé de longues heures en montagne, le plus souvent seul, et je ressens un grand sentiment de solitude, voire de spleen. Je me demande comment je vais pouvoir finir la course dans cet état, sans néanmoins jamais envisager l’abandon. Mais je sais que sur ces épreuves d’ultra endurance, tout peut changer rapidement…
Juste avant le ravitaillement j’aperçois mon ami Jérôme (Finisher UTMB l’année précédente) qui est venu à ma rencontre m’apporter son soutien. Revoir un visage ami et bienveillant, après ces heures de solitude à broyer du noir, me fait un bien fou. Il trouve les mots justes, me donne les conseils avisés et me galvanise. Merci Jérôme !
Je quitte le ravitaillement assez rapidement et me lance sur un profil de terrain qui me convient bien, constitué principalement de longs faux-plats descendants sur lesquels mes jambes de routier font merveille.
C’est ainsi que je rejoins le ravitaillement de Champex-Lac (KM 130 / SAM 20:27:58 / 26:23:06 de course /832°) juste avant la tombée de la nuit.
Je gagne une centaine de places en 14 km !
Le ravitaillement de Champex-Lac marque la porte d’entrée vers la deuxième nuit de la course. Il est très important d’y reprendre des forces. Je dors 20 mn, me change entièrement et m’imprègne des mots d’encouragement pleins de douceur que m’adresse Aurélia.


J’ai néanmoins très mal aux jambes alors Gérard, mon ostéopathe, en quelques gestes précis et efficaces, éteint en partie le feu qui consume mes quadriceps. Merci Gégé !
Il reste 46 km et trois sévères montées et descentes. C’est une partie du parcours que je connais bien et que j’apprécie. Je m’y engage donc sereinement. Je passe au ravitaillement de la Giète (KM 141 /DIM 00:15:35 / 30:10:35 de course / 844°). Ça y est, nous sommes dimanche ! Je ne suis jamais préoccupé de mes temps de passages ni de mon classement alors je n’ai pas la moindre idée si mon objectif de battre les 40 heures est encore possible. Et, à ce stade de la course, je n’ai plus la force pour faire du calcul mental.
Malgré les soins de Gérard à Champex-Lac, mes quadriceps recommencent sérieusement à être aux abonnés absents. Je m’efforce cependant d’avancer aussi efficacement que possible. Le sommeil ne me quitte plus et je suis contraint de faire encore deux micro siestes, allongé sur une parcelle d’herbe ou sur un rocher !

Bon an, mal an, je finis par arriver au ravitaillement de Vallorcine (KM 158 / DIM 05:27:35 / 35:22:43 de course / 837°). Et là Aurélia me dit : « regarde bien ta montre, qu’indique-t-elle ? ». Je lis 35:22:43 et comprends immédiatement où elle veut en venir . De Vallorcine il faut environ 4 heures pour rallier l’arrivée. 35 + 4 = 39, autrement dit l’objectif de finir en moins de 40 heures me tend les bras !
Je prends néanmoins encore le temps de bien m’alimenter et quitte Vallorcine après 35:48:26 de course. Il me reste donc 4h11 pour arriver dans mon objectif !
C’est le mors aux dents que j’attaque les premières pentes vers le Col des Montets. Mais, encore une fois écrasé de sommeil, mon contre-la-montre commence par ma 5 ème micro sieste de la course ! Au final vais dormir une heure en temps cumulé.
Je retrouve néanmoins de l’énergie, décuplée par le lever du soleil. L’euphorie de l’arrivée proche s’empare de moi et la magie du corps humain s’opère : subitement je ne ressens plus aucune douleur ni fatigue. Je me surprends à courir sans effort dans les montées ou mes compagnons de route tentent de rallier Chamonix comme des âmes en peine. Et voilà qu’apparaît déjà le ravitaillement de la Flégère qui marque la fin de la dernière montée (KM 170 / DIM 08:48:17 / 38:43:25 de course /
807°). Je traverse le ravitaillement sans m’y arrêter et m’engage résolument dans la descente. Il faut un peu moins d’une heure pour arriver à Chamonix alors je réalise que je vais assurément réussir
Mon objectif. L’euphorie est à son comble. De surcroît, comme un signe du destin, je croise Dawa Sherpa (vainqueur de la première édition de l’UTMB) qui monte vers la Flégère. Je l’interpelle, nous échangeons quelques mots et après une solide poignée de mains je repars de plus belle vers l’arrivée. Les derniers kilomètres, les larmes aux yeux, sont un pur bonheur. Je reçois des dizaines de mots de félicitations, chargés de respect et d’émotion, du public déjà nombreux pour assister à ce spectacle des forçats de la montagne qui rentrent à bon port.
L’entrée dans la rue principale de Chamonix est émotionnellement indescriptible, mélange de soulagement et de satisfaction ultime, de fierté aussi. C’est aussi le moment de célébrer la réussite avec ses proches, présents ou non.


Pour conclure j’ai envie de dire que cette course réussie est idéale pour tirer ma révérence sur l’ultra trail. Je retournerai en montagne, bien sûr, mais sur des formats plus courts. Le chemin pour en arriver là a été long et difficile, il rend la vue de l’arche d’arrivée encore plus merveilleuse. Alors je profite pleinement de ces dernières secondes car je sais déjà que je ne referai plus l’UTMB.
Je franchis la ligne 09:44:48, à la 782 ème place (7 ème M5), en 39:39:56, après 176km d’efforts.
Mon bonheur est total, d’autant plus que je suis accompagné dans le succès par ma vaillante
Coéquipière Solène, qui franchit la ligne à la 1 152 ème place (17 ème dans sa catégorie) dans l’excellent temps de 42:44:42. Bravo Sol, respect éternel !
Pour la petite histoire, sur 2 761 participants au départ, 1 001 ont abandonné. Le taux de finishers est donc de 63,7%, ce qui fait de cette édition 2024 la troisième la plus dure de ces 10 dernières années
La canicule a fait des ravages !
Mais je ne peux finir ce texte sans rendre un hommage appuyé à Aurélia, binôme extraordinaire tout au long de la course. Elle est absolument indissociable de ce succès qui est donc aussi le sien.
Je remercie aussi de tout mon cœur tous ceux qui m’ont fait l’honneur de me suivre avant et pendant l’épreuve. Votre soutien est un trésor inestimable.
Joël Rondole
